Terres de caractère : la viticulture sur sols pauvres et caillouteux en Gascogne, entre défis et éclosion du goût
Le patrimoine vivant du Sud-Ouest
Le paysage gascon n’est pas une toile monotone. On distingue ici plusieurs types de sols présentant une faible fertilité naturelle, notamment :
Sur ces terres, la couche arable est souvent mince, drainante, incapable de retenir l’eau ou les éléments nutritifs longtemps. À titre d’exemple, selon l’IFV (Institut Français de la Vigne et du Vin), le pouvoir de rétention d'eau d'un sol graveleux tombe fréquemment sous les 100 mm/m, parfois à 30-50 mm/m seulement (source : vignevin.com). Cela se ressent d’autant plus lors des sécheresses estivales, désormais régulières. L’été, la vigne n’a parfois d’autre choix que de plonger ses racines jusqu’à deux ou trois mètres pour aller puiser eau et minéraux.
Le paradoxe ? Ce sont souvent ces sols « ingrats » qui donnent naissance aux vins les plus expressifs, non seulement en Gascogne, mais aussi dans tous les grands vignobles de France.
La faible capacité de rétention d’eau est de loin le principal défi. Trop peu d’eau, et la vigne souffre, la croissance s’arrête ou les raisins se dessèchent : l’IFV estime que, sur certains microclimats du Bas-Armagnac, le stress hydrique modéré est atteint dès la fin juin lors des étés secs. Cependant, un léger déficit hydrique avant la maturation peut se révéler bénéfique, forçant la vigne à concentrer les sucres et arômes dans le raisin, donnant au vin son relief. L’équilibre est subtil, car un excès de stress peut provoquer :
La maigreur minérale pose également des questions d’alimentation pour la vigne. Les carences en azote, magnésium ou potassium sont fréquentes, perturbant la vigueur des ceps et la qualité des moûts. Pour compenser, les vignerons tentent d’éviter l’artificialisation à coups d’engrais, préférant souvent des solutions plus douces :
Un sol trop riche abolirait la typicité du terroir, rendant le vin générique et lourd. C’est, souvent, la pauvreté, associée à une conduite raisonnable, qui conserve la finesse et la fraîcheur caractéristiques des blancs et rosés de Gascogne, et aiguise la structure des rouges.
Qui a déjà observé les vieilles vignes de la Ténarèze une matinée de neige attardée comprend vite combien l’enracinement et la structure du sol impactent chaque geste. Le passage de tracteurs se fait précautionneux sur sols de galets roulés, où les pneus glissent, et où chaque labour risque d’arracher les jeunes ceps. Sur certaines parcelles, la mécanisation reste limitée, incitant à préserver les traditions comme la taille manuelle ou l’ébourgeonnage à la main. Ce facteur alourdit les coûts de production, mais assure un œil attentif sur chaque pied. Selon la Chambre d’Agriculture du Gers, certaines exploitations économisent jusqu’à 100 h/an de mécanisation mais nécessitent 1,5 fois plus d’heures de travail manuel que sur des terres profondes.
Sur sol pauvre, tous les cépages ne réagissent pas de la même façon. Les vignerons gascons favorisent des cépages modérément vigoureux à petites grappes et peau épaisse, tels que :
Selon l’IFV Sud-Ouest, le choix du porte-greffe devient déterminant : les porte-greffes à enracinement profond, comme 110R ou 140Ru, sont désormais privilégiés dans les parcelles les plus sèches.
Dans le Gers, la méthode du « semi-enherbement » est devenue centrale. Plutôt que de laisser le sol nu, les rangs alternent enherbement et travail du sol, ce qui limite l’évaporation, encourage la pénétration racinaire et tempère la concurrence hydrique. Cette couverture préserve la vie du sol et amortit les aléas extrêmes — on se souvient du printemps 2022, particulièrement sec, où nombre de parcelles restées « nues » ont vu leur végétation stagner pendant des semaines.
L’âge du vignoble joue beaucoup sur ces terres : un jeune pied de vigne souterrainement contraint peut végéter pendant six à dix ans avant d’atteindre la pleine production. Mais une fois bien installée, la vigne puise dans les profondeurs et assure sa survie même sur les sommets caillouteux. De plus en plus de domaines plantent des haies mixtes ou laissent des bandes enherbées autour des parcelles, pour favoriser la biodiversité, amortir l’érosion lors des grosses pluies et soutenir l’écosystème racinaire. À Larroque-sur-l’Osse, la famille Dufau raconte comment ils ont retrouvé des vers de terre là où il n’y en avait plus depuis 1985… rien de spectaculaire, mais la promesse, patiemment renouvelée, d’un terroir régénéré.
Ce sont les vins de Gascogne issus de sols pauvres ou caillouteux qui frappent le plus par leur intensité aromatique et leur droiture en bouche. Sur sables fauves ou graves, les blancs expriment des bouquets éclatants d’agrumes, la minéralité saline, la tension acidulée dont raffolent les amateurs. Les rouges, eux, gagnent en finesse tannique, sans lourdeur. Un Colombard élevé sur boulbènes surplombant la Baïse paraît plus tranchant, plus aérien, qu’un cousin élevé sur plateau argilo-limoneux.
Sur ces terres, chaque millésime nuance le profil du vin d’une manière marquée, particulièrement lors des années extrêmes :
Une dégustation d’Armagnacs extra-vieux, issus de parcelles graveleuses, réservera toujours des notes épicées et une longueur salivante distinctives : sans excès de gras, mais à la verticalité affirmée.
Sur les coteaux pauvres, chaque grappe est le fruit d’une lutte discrète, mais féconde entre la vigne et le terrain. La Gascogne, à travers ses pratiques et sa ténacité, incarne une autre idée de la « richesse » : celle du goût, de la nuance, et du lien durable avec la terre. Le défi des sols pauvres ou caillouteux n’est pas d’en triompher, mais d’apprendre à les lire, à les respecter, à en exprimer la musique propre. La richesse véritable s’exprime alors dans le verre, invitant à la curiosité et à la rencontre.
La Gascogne continue d’inventer de nouvelles réponses, notamment face au changement climatique et à l’évolution des attentes des amateurs de vin. De la pauvreté du sol naît, en Gascogne, une virtuosité discrète, faite de patience, de respect et de goût : autant de valeurs à redécouvrir et à savourer, un verre à la main, en dialoguant inlassablement avec la terre.
Sources : IFV Sud-Ouest, Chambre d’Agriculture du Gers, CNAOC, CIVS, témoignages de la famille Dufau, site vignevin.com
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